5 déc. 2014

Les jeux des yeux de scène

Je pense à n'importe qui. Me voilà à Kimbau. Le chef Mbau de Mulopo Tsunda ou Ponton se déchaîne avec sa cour de danse traditionnelle. Parmi ces gens, je reconnais le papa de Mutombo Maringuoin. Un monsieur. Impressionnants sont ses gestes, impassible est son regard. Plus sérieux que le chef lui. Lui, c'est le mulopo du feu chef Kiba, si ma mémoire est bonne. Ce regard, je l'avais connu enfant; je l'ai retrouvé adulté à l'occasion de nos prémices le 10 août 83. En fait, cet homme au regard de sang est un notable de Ponton, qui protège l'autorité du chef.  
Cela me rappelle le regard sanguinaire de Chaka, l'irréductible figure zouloue. Avec la particularité que le regard du Bayete est criminel, inhumain. Sur la scène de la vie et du pouvoir, le chef porte un regard condescendant et autoritaire sur les siens. C'est ce regard qui fait de lui le maître de l'univers après Umzikulu. Ce qui se voit est sous son pouvoir. 
Me voilà de nouveau à Kimfingia. Juillet 1969. Mes amis de jeu sont mis dans un camp initiatique. Des villages voisins, de Kimbela, Kasenzi et .Mukomba, de Makiosi, Kingwanga, Kikweku, Muteba, Kimwambu, Kisala, Kimwela, Kingwadia, Kitundu, etc. sont venus des jeunes comme des vieux pour la grande célébration. La veille, c'est la soirée du mukamba: "E Mukamb'e lelele lelele, mukamb'e, lelele leele".C'est la soirée carnavalesque où tous les sens se débrident, où toutes langues se délient, et où la pudeur fait place à l'insolence. Cela en toute impunité. Soirée de vérité, soirée de déliquescence des moeurs et des sens! Et les yeux prennent le visage de la scène. Le jour de la circoncision a lieu la parade des futurs circoncis qui offrent un spectacle de kutamuka ye misesa, avant qu'on les transporte sur des fusils vers le camp d'où ils ne reviendront que plusieurs semaines plus tard. Tout de suite après, c'est les yeux imprégnés de sang des tsiapula qui impressionnent. Les circonciseurs reviennent avec leurs samba: "A samba, a samba, mwana Masala " criait Kha Kahiudi, mon grand père et mon maître es sciences. Quel défilé où l'effusion de sang atteint l'euphorie du délire. Et moi, enfant de douze ans, j'observe de mes yeux "scolaires" ces traditions dont je comprends la signification symbolique mais auxquelles je demeure quelque peu étrangers. Je suis terrorisé par la scène; mon grand-père me prend, m'amène au camps pour m'initier: "Mu kataku". L'enfant de la cité peut bénéficier des bienfaits de nos traditions; il risque d'être stérile (sic) s'il ne subit pas cette cérémonie. On pose un pied sur le sol alors que l'autre demeure en haut, et à chaque touche sur le sol, on doit frapper fort. Un rituel très stylisé que je n'ai vécu que cette seule fois. Entre temps, on vous souflle par la bouche des produits sur le front, sur les épaules, sur les mains, sur la poitrine, tout en changeant de pied car les deux pieds du sacrificateur ne peuvent pas se poser en même temps sur le sol. Les yeux de scène ont vu ce jeu, et l'ont intériorisé jusqu'à ce jour.
Me voilà de nouveau à Kenge I. 1966. Chaque samedi se tiennent des danses folkloriques de Batshioko. Moyo ewa, mwana wahinduka? Kha. Des scènes qui faisaient peur aux enfants que nous étions. Car rien qu'à les voir, les minganji étaient parés de raphia, avec des maracasses aux pieds et aux bras qui rythmaient leurs pas cadansés. Représentations fétichistes car désormais les . danseurs étaient supposés être possédés par les esprits supposés méchants. Et les enfants étaient obligés de s'en éloigner.
Mes yeux ont vu ces scènes et s'en souviennent. Les jeux des yeux de scène!

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