Fin 1984. L'évêque de Kenge revient d'Europe après un mois d'absence. Papa Petelo va lui présenter des fleurs: "Ah Mbuta-Nganga, mbote mpila nge me vutuka na bwala na nge. Beto awa kuvandaka kufingila mpimpa mwini sambu na kukunda nge". (Mgr, c'est bien que vous soyez revenu. Nous ici attendions nuit et jour afin de vous glorifier). J'ai éclaté de rire au point d'embarrasser l'évêque qui s'est contenté de sourire et de le remercier. Cette histoire vieille de trente ans, et que j'ai complètement effacée de ma mémoire, me revient à l'esprit pendant que je réfléchis sur les raisons avancées pour justifier la révision constitutionnelle dans des pays africains.
Dans ce monde, il y a des gens dont la vie consiste à acclamer d'autres, plus doués ou puissants qu'eux. Papa Petelo était de ceux-là. Vie de subordonné, vie destinée à chanter la gloire de ses chefs. Très sérieux dans la sauvegarde des biens, cet ouvrier était le plus fidèle de tous. Toujours présent quoique pas forcément efficace, il faisait partie de l'évêché comme un meuble. Il défendait les biens de l'évêché, parfois prenant position contre ses pairs. Les maçons avaient l'habitude de détourner des sacs de ciment pour leur propre besoin, mais Papa Petelo se désolidarisait d'eux et les dénonçait sans hésiter.
Un homme trop modeste. Un soir, feu abbé Jean-Pierre lui avait demandé:
- Papa Petelo, sambu na nki nge me kwelaka ve? (Pourquoi ne t'es-tu jamais marié?)
- A Tata Missie Lubé, kana mono kumona nkento, nge ta kwedila mono yandi? (Mr. l'abbé, si je trouve une femme, tu vas l'épouser pour moi?) Entendez: verser la dot.
La suite ne me revient pas. Je préfère ne pas l'aborder. Mais on disait de lui qu'il avait été une fois marié mais que le mariage n'a pas tenu longtemps à cause de son caractère viscéralement célibataire. Il n'aurait pas supporté la présence trop encombrante d'une seconde personne dans son espace vital. Je me souviens clairement de sa signature kilométrique. A chaque paie mensuelle, il signait son livret de paiement: il continuait de signer jusqu'à ce que je lui dise d'arrêter. Des fois, il en profitait pour glisser un message, une plainte ou une réclamation. Avant chaque fin du mois, il empruntait de l'argent chez moi. Pour une raison ou une autre Petelo était toujours endetté chez moi.
Fidèle parmi les fidèles, Petelo exhalait une certaine naïveté mêlée d'une dose de ruse et d’ingénuité. Une fois, à l'occasion d'une fête du MPR, je lui avais demandé pourquoi il n'était pas aux manifestations: "A Tata Missie Lubé, mono ke kwenda makinu yina ve; makinu bo ke kinaka kuna kele mbote ve ata fioti." (Mr. l'abbé, je ne vais jamais à ces danses; les danses qu'on exhibe là ne sont pas bonne du tout).
A l'ancien évêché, il avait fait passer quelques moments d'embarras à notre ami séminariste Damien Pakasa Mafema qui avait osé frapper à la porte de l'évêque sans son autorisation: "Awa nge me kukokotila, yo kele luzitu e nki?" (Maintenant que tu as toqué, est-ce de la politesse ou quoi?). Surpris par cette interpellation, Damien n'avait pas pu se défendre jusqu'à ce que le chauffeur Jean Mvwabika est intervenu.
De sa vie, il n'avait connu qu'une seule rivière, la Bakali. Une fois qu'on l'avait transporté à Bonga-Yasa pour une opération d'"adeni" (entendez: la hernie), il appelait toute rivière traversée Mbakadi. Or il y a les ponts de Konzi, Inzia, Luie et le bac sur la Mokamo: toutes ces rivières étaient des Mbakadi, selon l'abbé Albert N'Koy qui était aussi du voyage. Ce fut le voyage le plus long de sa vie, j'en suis sûr. Témoin du déplacement des installations missionnaires de Kenge II à Kenge I fin 50-début 60, ce baptisé de Mukila évoquait avec fierté certains noms SVD: Mgr Jan v.d. Heyden, Mgr Hoenen, "Van Golop", Otte, etc. Et bien entendu Masela Matsutsusu (Soeur Marie-Robert des Salésiennes), ma précédente à l'évêché.
Et chaque fois que mon père passait par l'évêché, ils se parlaient; je n'ai jamais trop su de quoi. De temps en temps, je lui offrais un petit cadeau symbolique pour lequel il se courbait en remerciements. Selon ce que j'ai appris, il serait mort avant l'an 2000. Paix à son âme!
Un homme trop modeste. Un soir, feu abbé Jean-Pierre lui avait demandé:
- Papa Petelo, sambu na nki nge me kwelaka ve? (Pourquoi ne t'es-tu jamais marié?)
- A Tata Missie Lubé, kana mono kumona nkento, nge ta kwedila mono yandi? (Mr. l'abbé, si je trouve une femme, tu vas l'épouser pour moi?) Entendez: verser la dot.
La suite ne me revient pas. Je préfère ne pas l'aborder. Mais on disait de lui qu'il avait été une fois marié mais que le mariage n'a pas tenu longtemps à cause de son caractère viscéralement célibataire. Il n'aurait pas supporté la présence trop encombrante d'une seconde personne dans son espace vital. Je me souviens clairement de sa signature kilométrique. A chaque paie mensuelle, il signait son livret de paiement: il continuait de signer jusqu'à ce que je lui dise d'arrêter. Des fois, il en profitait pour glisser un message, une plainte ou une réclamation. Avant chaque fin du mois, il empruntait de l'argent chez moi. Pour une raison ou une autre Petelo était toujours endetté chez moi.
Fidèle parmi les fidèles, Petelo exhalait une certaine naïveté mêlée d'une dose de ruse et d’ingénuité. Une fois, à l'occasion d'une fête du MPR, je lui avais demandé pourquoi il n'était pas aux manifestations: "A Tata Missie Lubé, mono ke kwenda makinu yina ve; makinu bo ke kinaka kuna kele mbote ve ata fioti." (Mr. l'abbé, je ne vais jamais à ces danses; les danses qu'on exhibe là ne sont pas bonne du tout).
A l'ancien évêché, il avait fait passer quelques moments d'embarras à notre ami séminariste Damien Pakasa Mafema qui avait osé frapper à la porte de l'évêque sans son autorisation: "Awa nge me kukokotila, yo kele luzitu e nki?" (Maintenant que tu as toqué, est-ce de la politesse ou quoi?). Surpris par cette interpellation, Damien n'avait pas pu se défendre jusqu'à ce que le chauffeur Jean Mvwabika est intervenu.
De sa vie, il n'avait connu qu'une seule rivière, la Bakali. Une fois qu'on l'avait transporté à Bonga-Yasa pour une opération d'"adeni" (entendez: la hernie), il appelait toute rivière traversée Mbakadi. Or il y a les ponts de Konzi, Inzia, Luie et le bac sur la Mokamo: toutes ces rivières étaient des Mbakadi, selon l'abbé Albert N'Koy qui était aussi du voyage. Ce fut le voyage le plus long de sa vie, j'en suis sûr. Témoin du déplacement des installations missionnaires de Kenge II à Kenge I fin 50-début 60, ce baptisé de Mukila évoquait avec fierté certains noms SVD: Mgr Jan v.d. Heyden, Mgr Hoenen, "Van Golop", Otte, etc. Et bien entendu Masela Matsutsusu (Soeur Marie-Robert des Salésiennes), ma précédente à l'évêché.
Et chaque fois que mon père passait par l'évêché, ils se parlaient; je n'ai jamais trop su de quoi. De temps en temps, je lui offrais un petit cadeau symbolique pour lequel il se courbait en remerciements. Selon ce que j'ai appris, il serait mort avant l'an 2000. Paix à son âme!
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