7 sept. 2020

Kenge, une porte sur le monde

Lorsque j’arrivais a Kenge pour la première fois en juillet 65 avec ma famille en compagnie des Ndikita, je n’avais jamais pensé que ce séjour aurait été le point de départ pour beaucoup de réalités marquantes de ma vie. J’écrivais l’histoire de ma vie sans le savoir. Un chauffeur Michel ou Mamatu nous avait conduits à bord d'un camion Mercedes de Santos. Je découvrais en chemin un bac, le bac de Kobo sur la Bakali. Je découvrais une piste d’avion: je voyais même un avion, un petit porteur. Je faisais des escapades rien que dans le but de voir la cité. Je découvrais l’existence de l’église protestante, totalement inconnue auparavant. J’avais vu des candidats aux élections, mais je voyais des autorités à l’œuvre. Je voyais les missionnaires de St Esprit et de la Procure vivre dans leur communauté. Je voyais les toutes premières religieuses: Matsutsusu et une sœur Adolphine qui gérait la maternité.  La disposition de la cité m’impressionnait: l’avenue Kibombi la traversait diamétralement comme un fleuve où toutes les rues constituaient des affluents. Le Camps Fonds d’avance brillait comme un quartier privilégié pour le villageois venu de Makiosi. Célestin et Godé Ndikita habitaient Lac Moero, oncle Tsakala possédait son atelier de confection au marché mais avait ses pénates sur la rue Laurence. De jolis noms ou mots qui faisaient mon bonheur d’enfant curieux. Je n’oublierai jamais Maman na Willy m’incitant à pratiquer le kikongo: “Awa na Kenge bantu nionso ke tubaka kikongo, nge fwete longuka yo.” Perdu, égaré dans ce fouillis urbain, je me demandais comme j’allais maîtriser cette langue que seuls les enseignants parlaient à Makiosi et à Mutoni. Le père Albin la parlait, mais je ne le comprenais pas. Ainsi j’avais failli rater mon test de première communion en juin précédent. Dieu merci que Tata Dieti était présent pour me réconforter et m’encourager à formuler maladroitement mes réponses. Kenge m’a rendu attentif au phénomène des langues. Après le kiyaka à Kabwita, le kisuku à Mutoni, le kipelende et le kiyaka à Makiosi, Kenge m’a mis à la croisée des chemins culturels. J’étais particulièrement impressionné par le kimbala, le kiyansi, surtout le kitshoko dont l’émergence dans mon univers constitua un tournant décisif. Kenge m’a ouvert au relativisme des cultures et des tribus. Je vis ou connus des coopérants étrangers haïtiens ou belges; des commerçants portugais Santos, Agos, Matos, Martins. Les premiers abbés: Binton, Luhangu, Makula. Je vis la fanfare de VdB bien avant celle qui accompagna Diangenda en 66 à Kenge. La cohabitation harmonique de personnes venues de différentes racines culturelles et linguistiques m’a marqué à vie: le polyglotte que je suis devenu a trouvé à Kenge son point de départ. De Kenge de l’époque je savais tout: rues, ruisseaux, monts, vallées, brousses. Busenge, Kingulu, Kiwana, Mangangu, Manzau formaient la toile d’encadrement de cet oasis populaire. Je vis mon tout premier de foot entre V. Club Mozande, Daring et Dragons. Lorsque j’y revins en septembre 65 pour ma troisième primaire, il n’y avait plus de secrets pour moi. La paroisse St Esprit, le siège des PCDK, fut mon refuge, je devins servant de messe. Ben van den Boom joua un rôle capital dans l’épanouissement de ma personnalité. Je découvris la solidité des liens familiaux ainsi que le sens de l’amitié. Les jeunes étaient bien encadrés, et je m’intégrai aisément dans ce flot humain. Je revois l’ouverture de la route asphaltée Léo - Kenge jusqu’au niveau de l’école normale. Toutes ces brousses transformées aujourd’hui en camps possédaient à mes yeux d’enfant une poésie immortelle. Aujourd’hui encore lorsque je regarde du côté de Yete ou de Manioka ou au-delà du Champ de Tir le mongo Zeka, je revois toute l’histoire de mon enfance à Kenge. Le désert fut la miniature de ma marche aux confins du monde, de mon monde bien entendu. Aujourd’hui hélas les traces s’effacent au rythme des morts qui jonchent le chemin de sa cour pour l’exilé de la Barbade que je suis devenu. Comment ne pas dire merci à l’Eternel pour m’avoir permis de fêter le nouvel an de 2018 et 2019 dans cette ville où je passai 7 ans de ma vie. Autant qu’à Kalonda. Notez en passant que je n’ai jamais passé trois mois de suite à Kinshasa. Contre 20 ans à la Barbade. Voilà ma muse fleur de cactus, tu sais tout de moi. Kenge, sept ans de vie, une porte sur le monde. 

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