11 avr. 2015

Démocratie et institutions en Afrique

Voilà un sujet qui pourrait bien faire l'objet d'une thèse en sciences politiques ou juridiques. Mais moi, en littéraire qui se prétend bon, j'en fais le sujet de ma réflexion de ce soir 11 avril 2015. Demain aurait été le 60e anniversaire de l'abbé Faustin Mampuya s'il avait vécu jusqu'à ce jour. Paix à ton âme L'homme. Je commencerai par des anecdotes que nous avions entendues ensemble il y a de cela plus de trente-trois ans.
Du temps de notre formation à Rome, il y avait un compatriote militaire mécanicien d'avions qui était en stage de perfectionnement à Varese. Amisi descendait souvent à Rome. Il était proche des amis d'Inongo et de Faustin. Il racontait des histoires sur le "Libumu Ndunda", avion-cargo militaire qui faisait toutes sortes de besognes comme "transporter des militaires pour des entraînements de parachutage, aller déposer le matelas du fils d'un général à Kinzambi, acheter du manioc, du riz ou des haricots pour un camp militaire, larguer des morts sur la forêt vierge ou l'Océan Atlantique, exporter des quantités d'ivoire pour l'épouse du général, etc." Les passagers s'y tenaient debout. Sa grande préoccupation concernait plutôt l'état technique de ces avions militaires. Les ordres du général ayant force de lois et ne pouvant souffrir d'aucune objection, le libumu ndunda devait aller en mission quel que soit son état. Il leur est arrivé qu'un militaire tienne connectés de ses mains des cables électriques pendant toute la durée d'un vol. Du jamais vu ni entendu. Une distraction, une fatigue, une erreur auraient pu causer un accident catastrophique." Vrai ou faux? Cela s'est fait. Lui-même appelait ces libumu ndunda des corbillards volants.
Ces anecdotes illustrent parfaitement le rapport entre la démocratie et les institutions en Afrique. La démocratie pourvoit une autorité absolue qui met l'élu au-dessus de la mêlée, de la loi. Les institutions marchent dans le sens de la volonté ou des caprices de l'élu providentiel. Ses volontés sont des ordres, et même leurs sujets les avalent sans les critiquer ni les remettre en question. Oser soutenir une opinion contraire à l'élu peut se révéler fatal. Chacun qui possède une parcelle d'autorité en profite abusivement, l'exerce sans limite et sans partage. Le subordonné a rang d'esclave plutôt que de collègue; il sert aussi bien la sphère publique que privée de son chef. Il paraît même que c'est inscrit dans nos traditions politico-sociales africaines. 
A la question "peut-on appliquer la démocratie en Afrique", le président JD Mobutu a une fois répondu: "Oui, mais pas à la lettre." C'était peu après la pendaison des Kimba et consorts. La faiblesse de l'Afrique, je ne cesserai de le dire, réside dans la faiblesse de ses institutions. Je ne conçois pas un coup d'état possible aux Etats-Unis et en Europe Occidentale, alors qu'un coup d'état guette chaque pays d'Afrique à n'importe quelle étape de son histoire. Le putsch est peu probable en Occident parce que les institutions de démocratie y sont stables, sûres et crédibles. La démocratie y joue le rôle de catalyseur et de régulateur. En Afrique, les autorités une fois élues se préoccupent avant-tout de leur pérennité au pouvoir plutôt que du programme qui les a fait élire; elles assurent abusivement leur pouvoir par la corruption, la gabégie ou la démolition des institutions étatiques établies. Au lieu de promouvoir le bien-être intégral du peuple, elles misent sur l'efficacité répressive des forces armées, de la police et des services de sécurité. Elles gèrent le pays à l'image du général avec son libumu ndunda. Je reste littéraire, je ne serai jamais ni général ni politicien, ni politologue ni juriste.
     

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