10 avr. 2015

Que vaut la vie d'un Congolais?

Lorsque des ressortissants de pays développés sont tués à l'étranger, leurs pays d'origine exigent des explications. Lorsqu'ils sont pris en otage ou arrêtés, des efforts onéreux sont entrepris pour les libérer, des pressions diplomatiques et des sanctions économiques sont brandies pour protéger la vie de ces gens. Israël est prêt à échanger des centaines de prisonniers palestiniens contre un seul soldat. Les US, la France bombardent, envoient des commandos pour "extraire" leurs compatriotes. Ils estiment que le sang de leurs concitoyens est sacré. Quant aux pays sous-développés, souvent ils croisent les bras, ne font des déclarations fracassantes que lorsqu'on leur reproche leur inaction et leur irresponsabilité.
Que vaut la vie d'un Congolais? C'est la question qui me passe par la tête maintenant que les premières impressions et émotions au sujet de la fosse commune de Maluku sont passées. Peut-être serait-il mieux de poser la même question de façon différente. Plutôt que de dire "que vaut la vie d'un Congolais?", serait-il mieux de dire "que vaut la vie chez les Congolais?". Comment les Congolais concoivent-ils la vie? Le sang coule à flot sur notre territoire comme si un destin maléfique et indomptable pesait sur nous. Une simple manifestation sociale tourne vite au carnage. "Nous ne vivons plus, nous ne survivons même pas", répète souvent avec raison un oncle qui critique tout et se plaint de tout. Son pessimisme me rebuttait jadis, mais je le comprends maintenant, avec le temps.
Le charnier de Maluku permet de poser beaucoup de questions au sujet de la valeur que les Congolais toutes classes confondues attachent à la vie. Désormais les autorités provinciales de Kinshasa, comme les instances de l'intérieur et de la sécurité se voient obligées de répondre aux interrogations de l'opinion nationale. Avant de politiser l'affaire, je souhaite en tant qu'intellectuel que l'insistance soit portée sur la protection de la vie. L'enterrement dans une fosse commune ne passe jamais pour un geste positif, étant donné qu'il porte une grave atteinte à la dignité humaine et à nos traditions africaines. Effectué de nuit, loin des regards, ce genre d'enterrement laisse soupçonner que l'on cache quelque chose, que des crimes sont voilés, que des victimes des émeutes dont les familles réclament encore les corps font partie de ce macabre cortège, etc. On est à la limite de la profanation. Autant des soupçons malsains qui enveniment le climat publique local et international.
Si c'est une pratique habituelle pour désengorger les morgues, rien ne serait plus simple que d'alerter la population, et au besoin de l'inviter, pour qu'elle s'associe à l'hommage dû aux personnes décédées. La transparence vaut le coût car la population a besoin d'être rassurée, sécurisée plutôt que d'être traumatisée par des violences meurtrières à répétition. Cet acte renforce la méfiance et la peur de la population vis-à-vis de l'armée, de la police et des forces de sécurité. Cet acte renforce l'accusation de tueries et d'assassinats que l'opposition, la société civile et les autorités religieuses expriment à l'endroit du pouvoir. A supposer qu'il y ait crimes politiques, ce qui reste à prouver, dans quel intérêt de tels crimes seraient-ils commis? Y aurait-il des enjeux politiques ou idéologiques derrière?
L'heure est à la conscientisation de tous en termes de protection et de responsabilité les uns des autres. L'heure est au respect de la vie, à la conservation de la vie. Si rien n'est fait immédiatement, la vie d'un Congolais ne vaudra même pas celle d'une mouche. Parole de littéraire!

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