4 avr. 2015

O Sapologie, toi qui règnes


Wemba: "O Sapologie, toi qui règnes sur tous les podiums du monde entier." Ainsi s'ouvre une émission-documentaire consacrée à la sape. "Sapologie, ou l'art de bien s'habiller". Sans grande surprise, j'ai retrouvé ce que j'ai toujours dit et pensé de la sape dans ce documentaire. Je déduis des interventions et des images diffusées dans cette émission que la sape est un phénomène de société, une idéologie et un business.
1. Phénomène de société. Papa Wemba n'est pas le fondateur de la sape, mais il est celui qui l'a incarnée le mieux. Sans doute à cause de sa réputation internationale en tant que musicien, artiste, acteur et peintre. Personne avant lui n'avait autant vulgarisé cette adoration particulière du vêtement. Il a pesé de tout son poids pour la diffuser aux quatre coins du monde à tel point que son nom est évoqué à chaque fois qu'on parle de la sape, de la sapologie, des sapeurs. A l'inverse également, chaque fois que des gens entendent le nom de Wemba, ils le lient spontanément au phènomène de la sape. Le culte du paraître envoûte toute la société africaine. On vaut ce qu'on porte. Le vêtement fait l'homme. Autrement dit, le vêtement est l'exutoire psychologique idéal contre la pauvreté, la précarité, la marginalisation et le mal-être. Il s'agit de paraître riche alors qu'on vient d'origines modestes, de goûter aux plaisirs réservés des parfums et des couleurs inaccessibles aux communs des mortels. Casque colonial, bermuda etc... et il paraît, habillement inspiré de nos ancêtres. Un sapeur n'est pas un clown malgré l'extravagance de son  masque vestimentaire. Il est. Il est ce qu'il est. Son défi consiste à tenter de joindre l'être et son paraître, à annuler la distance entre le jeu et la vie réelle.
2. Une idéologie. A en croire l'interviewé congolais, l'idéal du paraître est de choquer le regard des passants. On est vu comme un clown, mais on est une personne normale. La seule différence est qu'on voue une dévotion à l'habillement qui reçoit dès lors une dimension sacrée. La sape, c'est une idéologie; mieux c'est une religion. Il ne s'agit certes pas de remplacer Dieu par le vêtement, mais de l'atteindre de façon privilégiée par l'intermédiaire du vêtement. Dieu étant le sommet des sommets, le Très-Haut, on utilise l'habit comme une relique, un scalpel, voire un fétiche pour contempler la divinité céleste. Je ne m'étonnerais pas qu'il s'y cache des pratiques occultes ou mystiques encore voilées au public.
3. Un business. Sape rime avec argent, plus précisement argent à dépenser. Il faut savoir placer son argent, dit un adage. Lorsque d'autres pensent à se construire ou à acquérir des maisons, le sapeur investit dans l'habillement. Il épargne mensuellement 250 Euro afin de se payer des chaussures Weston de 2500 Euro au bout de dix mois. Il peut emprunter un prêt bancaire pour enrichir sa tenue vestimentaire. Le sapeur dépense onéreusement pour son look. Autant la pensée du père de maison se concentre sur les coins et recoins de sa bâtisse, autant celle du sapeur est orientée vers les derniers produits de la mode, vers les magasins du prêt-à-porter, vers les modèles et les créateurs de rêves. La sape est un investissement. Lorsqu'on y réussit, elle ouvre des horizons financiers insoupçonnés.

Mes réflexions sur la sape et la sapologie (science de la sape) ont pris une tournure plus objective depuis quelques temps. Auparavant, je la condamnais en bloc sans même y percevoir le moindre signe positif. C'est dans cet esprit que j'ai écrit ma pièce Le sapeur en 2010. Je la prenais pour une folie, pour une vie faussée. Tout en relativisant la portée de mes pensées antérieures, j'ai pris de la sympathie pour ce mouvement excentrique, estimant que les prétentions des sapeurs ne sont pas forcément toutes des contre-vérités ni des faussetés. La sape constitue un phénomène de société dont les racines doivent être explorées car elle entraîne dans sa vague, comme envoûtée par un esprit irrésistible, toute une jeunesse en quête d'identité. Ca, c'est la réalité.

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