3 août 2020

La flatterie

S'il est un point pour lequel beaucoup de gens se montrent zélés ou passionnés, c'est la flatterie, la parole mieleuse. La parole sucrée constitue un art qui vise un résultat immediat, mieux, une stratégie d'extorsion de faveur, de générosité. Les diplomates passent pour maîtres en cette matière. Amplifier le titre de quelqu'un - comme appeler ingénieur un modeste mécanicien -, l'affubler de tous les hyperboles imaginables, élève au-dessus de la mêlée: "Vous êtes le phoenix des hauts de ces bois". Cette mise en valeur exagérée suscite souvent chez la personne célébrée une sorte de satisfaction inattendue. C'est un atout formidable dans une négociation. 
Dire la parole qui enoblit son interlocuteur, qui plait aux oreilles et au coeur de son patron, rapporte toujours quelque chose de positif, attire la bienveillante gentillesse de ce dernier. Les chefs sont souvent objets de flatterie de la part de leurs subordonnés. Pour obtenir quelque chose de son chef, il suffit de l'encenser, de le caresser comme un chien dans le sens des poils. Pour apaiser les nerfs de son patron et attendrir son ego, il n'y a qu'à louer ses efforts ou actions, il n'y a qu'à le sanctifier, autrement dit, à accroître exagérément le respect qui lui est naturellement dû de par sa position hiérarchique. La flatterie est une négociation ficelée dans un but précis. La fin justifie les moyens. 
Certaines flatteries frisent le mensonge: on invente des histoires dans le seul but de valoriser son interlocuteur plus que de raison. Un jeune homme m'a surpris en évoquant des bienfaits que j'aurais accomplis en sa faveur lors d'une tournée de confirmation à Bandundu-Ville. Or justement pendant les cinq ans  passés à Kenge, je n'ai jamais participé à une confirmation à Bandundu. Mensonge, mais cela était si bien dit qu'on aurait cru à la véracité de cette invention fortuite. Le gars, prêtre aujourd'hui, voulait simplement montrer sa proximité avec moi depuis l'époque où il était encore enfant. L'autre jour à Kenge, quelqu'un me presente: "Tala nganga-nzambi ya kieleka, bayai ya bubu ve" (Voilà un vrai prêtre, pas ceux qu'on a aujourd'hui), alors même que j'ai renoncé au sacerdoce. Je me suis mis sur mes gardes, et voulais observer jusqu'où il voulait en venir. J'arrête là.  
Dans ce même registre notre musique est truffée de "mabanga" (pierres), c'est-à-dire des noms ou des titres cités contre espèces sonnantes et trébuchantes. Même des autorités politiques sont nommées dans ce même but. On fait votre éloge mais vous payez. Didi Kinwani, Patron des Patrons, Mokonzi ya Uije, Boss des boss, Père, Mvwandu, le Grand Prarisien ou Londonien, Grand-Prêtre, Mopao, Mère Supérieure, Mère Premier (sic), Papa Chéri, Mokonzi ya Montréal, Kulutu ya baleki ebelé, Pire Vié na nga, L'Archbishop, Méga Star, etc. autant des surnoms affublés pour des exploits imaginaires. "Yo moto osala te biso tozala". Les leaders-musiciens sont adulés par leurs collègues comme des petits dieux. Le respect unanimement rendu de son vivant à Papa Wemba est des plus patents. Ainsi l'ont vécu avant lui les génies Tabu Ley, Franco, Nico ou Kallé.  
"Tout flateur ne vit qu'au dépens de celui qui l'écoute." L'argent du pays appartient au chef de l'état qui le gère à sa guise, sans rendre des comptes à qui que ce soit. On flatte le chef pour accéder à cette cagnote au fond infinie. On accuse, on trahit, on flatte pour tirer le plus de la générosité du Leader maximus. La magnanimitié du chef est légendaire: il donne sans compter. Souvenez-vous de: "Nous chanterons, nous danserons" pour l'honneur du mobutisme. Tous les thuriféraires roulaient cabosse à l'ombre du Léopard. Nous pouvont remonter aux chansons révolutionnaires honorant le président Mobutu, produites soit par des musiciens soit par des groupes d'animation populaire. C'est le propre du chef d'être flatté et adulé. Kadhafi y croyait dur comme fer: "My people will defend me." Oubliant que le traitre gisait dans sa propre cage. Pasteur Dominique Sakombi a roulé aussi bien pour Mobutu que Kabila Père qui l'a engagé sur la base de cette expérience. La Mopap a vécu, mais la machine de la propagande persiste jusqu'à ce jour. Un quidam aurait frappé un Belge pour défendre l'honneur souillé de son président. Il devint ministre. La flatterie revêt plusieurs formes, plusieurs fonctions. A chaque mode de vie son type de flatterie. On n'est pas loin de la mendicité déguisée.
L'éloge des pasteurs. Une autre classe de flatteurs proches des dictateurs au même titre que les marabouts et autres maîtres de sociétés secrètes. Ne voient-ils pas des prophéties, ne trouvent-ils pas des paroles de vérité, pour rassurer les gouvernants dans la gestion catastrophique ou criminelle de leurs pays? Il y en a un qui exige aujourd'hui du régime de Tshisekedi de devenir plus généreux, d'ouvrir la main, oubliant que ceux-ci doivent d'abord penser à leur propre ventre avant de songer aux autres. Les flatteries finiront toujours par porter du fruit. En général les pasteurs ouvrent ces portes fermées au commun des mortels grâce à la parole de Dieu, que dis-je?, à la parole de miel et de nectar. L'ego flatté se remplit de bonté et de clémence à l'égard du maître de la parole. Les pasteurs eux-mêmes sont à leur tour aussi encensés par leurs adeptes.
Griots, musiciens, pasteurs, acolytes de tout acabit, tous célèbrent la grandeur de leurs clients par la flatterie. La flatterie camoufle la vérité. Et tout flatteur vit au dépens de celui qui l'écoute. 

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