Quand j'étais écolier à Kenge entre 1965 et 67, j'habitais chez un oncle maternel la première année et chez un oncle paternel la deuxième année. Relativement tôt, j'ai appris à faire beaucoup de choses par moi-même comme repasser mes habits, chercher des touches sur la route asphaltée, faire des tsonda et autres pièges à rats. J'ai appris surtout à nager, et aussi à me battre et à frapper. J'ai même une fois été suivi par la police pour avoir frappé un congénère qui m'avait insulté. Bref, j'ai grandi comme tout enfant qui, sans l'influence des adultes et de l'église, je pouvais sans doute tomber dans la déchéance ambiante de l'époque. Encadré par Ben Van den Boom, je me suis fait servant de messe à Saint-Esprit et petit chanteur dans les PCDK. La force des choses a fait que je me débrouille assez adroitement, mais j'ai surtout appris à me défendre et à être moi-même. Bon élève, fils d'enseignant, j'aimais l'école que je ne manquais jamais. A mon retour de Kinshasa fin août 65, sous la surveillance de Mbuta José Kimbuta d'heureuse mémoire, j'avais une malle pleine d'habits neufs que je fermais prudemment. Voilà qu'un oncle qui m'a obligé de lui remettre les clés, détournait mes belles culottes et chemises pour d'autres. Je décidai du jour au lendemain à son grand étonnement de confier ma malle à un autre oncle. J'avais ainsi coupé l'herbe sous les pieds de cet oncle abusif. Lorsque mon père apprit cela, il s'écria admiratif et prophétique: "Tu ne te laisse(ra)s jamais marcher sur les pieds". Effectivement, je ne me laisse pas piétiner par qui que ce soit. J'ai développé la patience comme vertu alors que je ne suis pas naturellement patient. J'ai appris à résoudre mes problèmes, et cet esprit d’indépendance constitue aussi mon défaut. Je sors de mes gonds dès que quelque chose ne marche pas dans le sens de mes voeux. Mes proches le savent.
Je fais cette réflexion en pensant à Mgr Dieudonné M'Sanda dont nous commémorons le décès survenu il y a 19 ans. Paix à son âme! Cet homme de Dieu, ou bien on l'aimait ou bien on le détestait. Il avait comme tout homme d'énormes qualités et des défauts. Beaucoup l'ont détesté à cause de sa rigueur et de son intransigeance. J'ai eu le bonheur de vivre cinq ans à ses côtés de bénéficier directement de sa bonté et de sa sagesse. Il m'a appris à travailler. A bosser dur. A écrire et à organiser des événements. Son influence m'a marqué à jamais. A chacune de mes visites à Kenge, je ne manque pas de passer m'incliner à sa tombe. Comme fils, j'ai subi et supporté ses humeurs. Que des fois révolté pour un traitement que je jugeais injuste, je résolvais de m'absenter de l'évêché. Il m'a appris à être un homme, à être entièrement responsable de mes actes. Surtout à être pratique et réaliste. J'étais son factotum: conseiller, prédicateur, surveillant des constructions, gestionnaire de la pharmacie, directeur de Caritas et du Cerca. Je lui planifiais des voyages en Europe, facilitais des contacts avec des partenaires. Il m'a aussi confié de choses que je ne révélerai jamais. Je sais qu'il a sans doute dû souffrir lorsque je lui ai présenté ma renonciation au sacerdoce. J'estime cependant que cette grave décision n'engageait que moi-même devant Dieu. Ma décision était ferme quoique des proches déçus aient tenté sans succès de me faire changer d'idée. Problem solving. Peu de temps après nous avons retissé nos bonnes relations; il avait même pensé à me rendre visite à Berlin où j'enseignais, n'eût été ma venue à la Barbade.
Je confiais ce matin à Ma Fleur de Cactus: "Un jour de janvier 86 j'ai cassé ses deux thermos d'eau. On était au premier pélerinage Anwarite à Isiro. Le comité permanent y avait lieu. Il est resté coi. Problem solving. J'ai acheté un thermos de secours. C'est seulement au retour à Kin que son chauffeur m'apprendra qu'il n'était pas content." C'est aussi cela Mgr Dieudonné M'Sanda d'heureuse mémoire. J'ai évoqué dans mon esprit des événements partagés depuis Kalonda, Kenge, Rome, Overijse, Fribourg et la toute dernière fois que je l'ai vu. Je pense à tout le bien qu'il m'a fait depuis ma formation secondaire à Kalonda (69-75) et philosophique à Mayidi (75-78), le baccalaureat en théologie (79-82) et la licence à Fribourg (87-92). Il m'a encouragé à apprendre la dactylographie et les langues. Il a financé mon cours d'allemand à Goethe Institut à Rome, Via del Corso. Problem solving, il n'a pas payé pour mon cours d'anglais à Londres ni mon doctorat. Ngolu zama, comme aurait dit Papa Fidèle, mais il en a posé les fondations. Je n'oublierai jamais le travail rabattu au secrétariat depuis la procure jusqu'à l'évêché (82-87). Ma reconnaissance est profonde, indeffectible. Je m'arrête là. Que son âme repose éternellement en paix!
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